France, 1907 : Tout de mendiants se disent journalistes qu’on ne saurait être étonné qu’un journaliste ait la fantaisie de se dire mendiant. Toutefois, ce n’est pas pour se donner les émotions neuves de la mendicité que notre élégant confrère Hugues Le Roux, coiffé pour la circonstance d’un feutre roussi, vêtu d’un long paletot dit « cache-misère », découvrant du linge douteux, la barbe inculte, la moustache tombante, est allé sonner aux portes dans diverses maisons du quartier Marbeuf. L’ingénieux chroniqueur voulait savoir, par expérience personnelle, combien peut recueillir dans sa matinée un mendiant à la lettre, c’est-à-dire un mendiant qui, muni d’une lettre de demande et de quelques recommandations plus ou moins authentiques, vient solliciter la charité à domicile.
Hugues Le Roux (nous dit Paul Foucher à qui nous empruntons l’amusant récit de cette odyssée) a gravi quelques étages et a rapporté de son expédition douze francs et un vieux pantalon. Inutile d’ajouter qu’il a envoyé l’argent à une bonne œuvre (celle de l’Enfance abandonnée) et qu’il est néanmoins prêt à le rendre de sa poche aux donataires, si ceux-ci en manifestaient le désir. Quant au pantalon, il paraît qu’il a trouvé un locataire.
Cette expérience démontre que le métier de mendiant à la lettre peut rapporter à celui qui l’exerce habilement les vingt-cinq francs par jour d’un député. Elle démontre aussi que nous ouvrons notre bourse avec trop de facilité et que c’est un peu notre faute si les mendiants volent les pauvres.
(Les Annales politiques et littéraires)